Numéro |
CMLF 2008
2008
|
|
---|---|---|
Numéro d'article | 092 | |
Nombre de pages | 14 | |
Section | Histoire, épistémologie, réflexivité | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cmlf08336 | |
Publié en ligne | 9 juillet 2008 |
DOI: 10.1051/cmlf08336
Réflexions sur la forme du discours linguistique
F. Neveu neveufranck@wanadoo.frPublié en ligne le 9 juillet 2008
Résumé
La forme du discours scientifique et la terminologie jouent un rôle crucial dans la constitution des champs ou sous-champs disciplinaires, puisquils déterminent et rendent visible lautonomie du domaine. Cette problématique du droit dentrée dans le champ, et de sa constitution autonome a été illustrée par ce que Thomas Kuhn a appelé la « mathématisation ». La « mathématisation » est à lorigine de phénomènes qui visent à renforcer lautonomie scientifique, et donc à légitimer les activités de la science, et à accroître leur prestige social, notamment en les arc-boutant sur le principe dobjectivité. Ce que la philosophie et la sociologie des sciences ont su faire apparaître, cest que la « mathématisation » nest pas seulement une méthodologie, elle est aussi un discours qui énonce, pour reprendre le mot de Bourdieu, un nomos particulier, autrement dit une loi, lieu dune légalité spécifique, qui repose sur un principe de division, de territorialisation, de construction de la réalité objective irréductible à celui dune autre discipline, produisant un effet de régulation mais aussi dexclusion du champ disciplinaire.
Loin de se limiter aux sciences exactes et expérimentales, la « mathématisation » sexerce également dans les sciences humaines et sociales, et notamment en sciences du langage. La forme du discours dune discipline est donc déterminée à partir dun principe de différenciation et didentité. Elle a ainsi nécessairement une fonction de visibilité et daffichage, qui est exploitée pour souligner la valeur différentielle de son capital. Cet impératif de différenciation explique le retour régulier de largument du rasoir dOckham en matière de terminologie, notamment dans les périodes de renouvellement conceptuel et de remembrement des territoires disciplinaires.
On traitera ici de linadéquation entre lidéal terminologique invoqué et les observables discursifs de la production scientifique. Inadéquation liée au fait que, le discours linguistique, dans sa matérialité, a rarement fait lobjet de lintérêt des linguistes, lesquels se sont longtemps intéressés à la théorie plus quà la théorisation, qui relève de la construction du sens et donc nécessairement de la construction du discours.
A travers lévocation de lidiomaticité du discours linguistique et lexamen de quelques observables de la singularité langagière dans la production textuelle des linguistes, on mettra en débat un présupposé qui a influé sur la représentation de la science linguistique à lépoque contemporaine, celui dune science déterminée par sa logique interne et caractérisée, paradoxalement, par une objectivité faiblement médiatisée par la forme du discours.
© Institut de Linguistique Française 2008