Numéro |
2010
|
|
---|---|---|
Numéro d'article | 055 | |
Nombre de pages | 14 | |
Section | Histoire, épistémologie, réflexivité | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cmlf/2010158 | |
Publié en ligne | 12 juillet 2010 |
Automatisation-mathématisation de la linguistique en France dans les années 1960. Un cas de réception externe
Histoire des théories linguistiques, Case 7034
2 Place Jussieu
75251 Paris Cedex 05
Contact : jleon@linguist.jussieu.fr
C’est aux Etats-Unis, dans les années 1950, qu’apparaît le tournant automatique de la mathématisation du langage, que nous appelons seconde mathématisation. Celle-ci se constitue à partir de la première mathématisation des années 1930-40, fondée sur la logique-mathématique et la philosophie analytique, et dans les centres de traduction automatique. La traduction automatique est issue de la culture des sciences de la guerre, caractérisée par l’interaction entre sciences et ingénierie, l’omniprésence de l’état et l’idéologie de l’automatisation. C’est donc la configuration formée par la théorie de l’information, la logique, les statistiques, le calcul numérique et la cryptographie qui va servir d’horizon de rétrospection aux débuts de la TA. Conçue comme technologie de guerre, celle-ci va obéir à des objectifs stratégiques de production de traductions en série et se constituer en-dehors de la linguistique. La TA et la première mathématisation vont constituer le socle des premiers analyseurs syntaxiques et du domaine de la « computational linguistics » à l’interface entre langages formels, syntaxe et programmation. Cet article se propose d’examiner, à partir d’une étude historique et comparative des institutions, les modes de réception de l’automatisation-mathématisation de la linguistique en France. Celle-ci est externe à plusieurs titres : les Français ne partagent pas l’ancrage de la première mathématisation ; leur retard en informatique les fait entrer dans le domaine tardivement, une fois celui-ci constitué ; en conséquence, la traduction automatique et la « computational linguistics » vont être assimilées et commencer simultanément. Le contexte d’apparition de l’automatisation-mathématisation a des spécificités : le nouvel horizon de rétrospection comporte aussi bien des modèles élaborés par des Soviétiques que par des Américains. Il existe une autre tradition de mathématisation en France, fondée sur les statistiques de vocabulaire, qui, revivifiée par la théorie de l’information va entrer en concurrence avec les modèles formels. Les linguistes français ne s’investissent pas dans le nouveau domaine comme acteurs, mais comme évaluateurs. La réception de la seconde mathématisation va donc emprunter des opérateurs de passage spécifiques. Même si le CNRS, dont la capacité de recherche s’est trouvée renforcée à la fin des années 1950, va constituer un lieu privilégié pour l’instauration de la seconde mathématisation, des instances intermédiaires seront nécessaires : institutions et acteurs, sociétés savantes, entremetteurs, et scientifiques-passeurs dont le rôle va être capital.
© Owned by the authors, published by EDP Sciences, 2010