Mai 68 à Orléans : la geste et la parole

Laboratoire Ligérien de Linguistique, 3 Rue Des Tanneurs F-37041 Tours Cedex 1

Contact : gabriel.bergounioux@univ-orleans.fr

Résumé

A partir d'une étude fondée sur la réponse de quatre-vingt huit personnes à la question posée dans le cadre de l'enquête ESLO1 (Orléans, 1968-1971) : « On a beaucoup parlé des événements de mai dernier. Moi, je n’étais pas en France à l’époque. Est-ce que vous pourriez m’expliquer ce qui s’est passé ? Pourquoi ? A votre avis, comment est-ce qu’on peut expliquer ces événements ? », on se propose d'analyser la façon dont ont été exprimés les témoignages vécus autour d'un mouvement qui avait pour première caractéristique de ne pas correspondre à un conflit du travail classique. Le constat fait par les Orléanais, à partir d'une situation locale, se révèle en opposition avec les informations nationales, ou plutôt parisiennes, propagées par les médias : la contradiction entre le « calme » évident de la protestation dans le Loiret et la violence déclarée des affrontements à Paris contraint les personnes interviewées à avancer des éléments d'explication qui incriminent tantôt une crise de la jeunesse estudiantine, tantôt le complot d'extrémistes manipulés par l'étranger. Ces opinions se concrétisent finalement sur la figure d'un coupable qui cumule toutes les qualités « négatives » (étudiant, extrémiste, étranger) et incarne le caractère radical de la contestation. A partir des témoignages recueillis dans ESLO1, on entend montrer comment la réalité sociale se construit, quand les termes pour la circonscrire et les cadres de référence viennent à faire défaut, dans le recours à des discours dramatisés et à des images spectaculaires qui informent les opinions et finissent par transformer des préjugés, par consensus, en réalité.