Numéro |
2010
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Numéro d'article | 083 | |
Nombre de pages | 27 | |
Section | Linguistique du texte et de l'écrit, stylistique | |
DOI | https://doi.org/10.1051/cmlf/2010086 | |
Publié en ligne | 12 juillet 2010 |
Qu’est-ce qu’une fiction cubiste ? La « construction textuelle du point de vue » dans L’Herbe et La Route des Flandres de Claude Simon
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Université de Nice/CIRCPLES, 98 boulevard Herriot, 06204 Nice Cedex 01, France, Metropolitan
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Université Paris IV - Sorbonne, 24 rue de Pontoise, 75005 Paris, France, Metropolitan
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La présente étude prend pour point de départ une position théorique que l’on entend contester, à savoir que les principes du cubisme en peinture ne sauraient trouver de forme correspondante dans l’écriture romanesque. Il s’agit donc de montrer ce que peut être une fiction cubiste, en prenant pour corpus deux romans de Claude Simon : L’Herbe (1958) et La Route des Flandres (1960). La matière théorique pour cette démonstration nous est fournie d’une part par un corpus d’ouvrages d’histoire de l’art consacrés au cubisme, d’autre part par les travaux décisifs d’Alain Rabatel sur le point de vue (PDV), entrée essentielle, quoique non exclusive, pour saisir les principaux enjeux d’un cubisme scriptural. Il apparaît ainsi qu’en peinture, le cubisme se caractérise par trois phénomènes : le rabattement des plans (un ou plusieurs objets sont appréhendés sur la toile dans des perspectives variées), les facettes (segmentation de la surface du tableau en secteurs formés d’arêtes qui se chevauchent), le passage (absence d’étanchéité entre les facettes). L’étude de la construction textuelle du PDV dans les deux romans de Simon fait émerger les mêmes phénomènes très exactement. En effet, les objets du monde simonien sont envisagés de manière plurielle (variation énonciative, déplacement du sujet focalisateur dans l’espace et le temps, variation du mode d’appréhension de l’objet, tantôt perception directe, tantôt souvenir, rêverie ou encore simple hypothèse déductive), dans une instabilité et même une indécidabilité statutaire qui prouve, en passant, qu’il est impossible d’unifier la fiction simonienne autour d’un sujet stable ancré dans une spatio-temporalité stable. En outre, la syntaxe simonienne, fondée sur les notions de clause et de période telles que les définit Berrendonner constitue de fait un dispositif extrêmement souple permettant au sein du continuum discursif des effets de rupture en tous genres analysables en termes d’arête et de passage. Enfin trois grandes composantes de la construction textuelle du PDV selon Rabatel (vision, volume, profondeur) contribuent de façon décisive à l’esthétique cubiste du roman simonien en tant qu’elles font l’objet d’un travail de variation systématisé qui caractérise également le cubisme pictural.
© Owned by the authors, published by EDP Sciences, 2010